Jusqu'à que la mort nous sépare ?
« De l’amour, on ne peut pas parler parce que c’est ce qui est. Ce qui est n’est pas une expérience objective, c’est ce qui est là à chaque instant, sauf quand je prétends aimer ou que je veux être aimé. Quand je veux être aimé, je veux quelque chose. Quand je veux quelque chose, je n’aime pas. Quand je ne veux plus aimer, que je ne veux plus être aimé, dès que je me libère de cette volonté de m’approprier, de ressentir quelque chose, ce qui reste c’est l’amour. S’il y a fidélité à cet amour, c’est une véritable fidélité. Mais chaque fois que j’aime quelqu’un, chaque fois que je veux être aimé, je suis infidèle à mon autonomie et cette infidélité coûte très cher. Elle me coupe de ma résonance, de l’amour véritable.
La fidélité à l’amour n’est pas quelque chose à faire. ; C’est ce qui s’accomplit constamment, sauf quand je veux aimer ou être aimé. C’est alors une trahison, une imposture ; l’ego qui essaie d’attraper quelque chose. Aimer quelqu’un est une projection, un fantasme, tout comme ne pas aimer quelqu’un. Dire que l’on n’aime pas telle personne est un fantasme. C’est être coupé de sa propre résonnance. Quand je dis que quelqu’un n’est pas sympathique, je vis dans mon fantasme, dans mon orgueil, je suis coupé de ma réalité. Si je suis présent, il n’y a rien qui ne me soit pas sympathique. Mais quand je vis dans mon fantasme, tout ce qui ne correspond pas à mon attente m’est antipathique.
Donc aimer ou détester relève du même monde fantasmatique et n’a rien à voir avec la réalité. La nature des choses, c’est l’amour. Je ne peux donc pas dire que j’aime quoi que ce soit. Aimer quelqu’un, cela voudrait dire aimer moins les autres. Ce n’est pas l’amour, c’est un manque d’amour. L’amour n’est pas exclusif, il est inclusif. Il y a des gens qui aiment leurs enfants et aiment moins ceux des autres. C’est une pathologie. L’enfant qui est devant nous est notre enfant. Cette fidélité à l’amour est une forme de clarté. Avoir besoin d’amour, d’être aimé…Il faut se libérer de ce fantasme pour journaux féminins !
Personne ne nous a jamais aimé, personne ne nous aimera jamais et c’est très bien comme ça ! Personne ne peut aimer. L’ego ne peut pas aimer. Quelqu’un ne vous aime pas ; il projette plutôt sur vous la réponse à une attente. Quand vous correspondez à cette attente, il vous aime. Quand vous ne correspondez plus, il vous jette et il prend quelqu’un d’autre qu’il aime à sa manière. On n’a pas besoin de cet amour. Le besoin d’être aimé est une maladie, et le besoin d’aimer aussi. Cette maladie se résout quand une sensibilité corporelle s’éveille. L’éveil sensoriel nous libère de ces besoins fantasmatiques. Il n’y a pas de besoin. Le besoin est futur. Dans la sensibilité, dans l’instant, de quoi pourrais-je avoir besoin ? Cela ne veut rien dire.
Etre amoureux est une pathologie. Comme toute émotion, elle a des moments de totale beauté. Quand vous êtes ivre mort, que vous avez pris des drogues, trop mangé ou fait un effort physique trop important, il y a ainsi des moments de folie sensorielle qui sont autant de moments de méditation. Etre amoureux contient aussi ces moments qui dépassent notre fonctionnement habituel. Etre amoureux est l’expression d’un manque d’amour ; cela veut dire que ce dont on n’est pas amoureux passe au deuxième plan. Je suis amoureux et, si quelqu’un a besoin de moi, je n’ai pas le temps de le voir parce que je suis amoureux ! Ce n’est pas possible. On est amoureux de ce qui se présente maintenant, pas amoureux de quelqu’un que l’on doit aller voir, négligeant pour cela toute la souffrance de l’entourage immédiat. Il n’y a fidélité qu’à cette évidence.
L’amour inconditionnel pour quelqu’un, c’est des histoires de jeune fille. Il est inconditionnel…jusqu’au jour où il est conditionnel. La plupart des êtres humains ont besoin d’une situation de couple pour vivre dans une certaine harmonie. Beaucoup de gens aiment parler et ils ont besoin de quelqu’un pour écouter. Bien sûr, vous pourriez parler au mur. Mais la plupart des gens ont trop de concepts pour apprécier la profondeur du mur. C’est pourquoi ils se marient. Mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils se mettent à parler au mur.
Pour la plupart des gens, le mariage est une bonne affaire. Cela se situe exactement sur le plan animal. « Tu me donnes ceci, je te donne cela. Si tu m’aimes, je t’aime. » C’est ce que la plupart des gens appellent l’amour. C’est étonnement peu pratique, mais approprié pour beaucoup. La plupart des gens ont besoin d’une image de sécurité. Ils ont besoin de savoir vingt ans à l’avance si on les appellera « mon amour » ou non. Il est très rare qu’une attirance physique soit également intellectuelle et affective. Dans nos sociétés mondaines et artificielles, on a voulu instituer des structures où il fallait tout trouver dans la même personne.
Dans chaque être que vous rencontrez, une profondeur est présente. Mais l’ego, la personne, veut une sécurité. Alors, on a créé des institutions qui sanctifient la peur de l’ego. L’ego a tellement peur qu’il s’est approprié de manière religieuse ces sacrements et, à cause de cela, des gens respectent « la femme » ou « le mari » d’autrui. La perversité s’est insinuée dans notre psychisme à un point tel que l’on respecte ce qui n’existe pas : la peur, la propriété.
Les êtres humains ne sont la propriété de quiconque. Mais l’ego a besoin de prétendre et, pour cela, on crée des chaînes que les gens portent au doigt. Ils sont fiers d’être enchaînés, ils aiment une personne plus qu’une autre. C’est une invention respectée par la société. Ces sacrements sont conférés par des êtres déguisés en sombres fantômes qui camouflent souvent leurs penchants refoulés sous une religiosité érigée en moralité… A un certain moment, on ne se sent plus concerné par ces caricatures pathologiques. Il est normal que certaines personnes se réjouissent quand une équipe de football qui a le même accent que le leur marque un but. Mais vient un jour où l’on ne se sent plus en symbiose avec ce comportement. Vous réalisez à quel point quelqu’un doit être malheureux pour être comblé quand un morceau de cuir dépasse une ligne, pour s’imaginer qu’il possède un homme ou une femme et qu’il existerait un lien autre que celui de l’amour. Cela n’empêche pas, pour des raisons fonctionnelles et économiques, de se livrer à ces rites étranges – qui ne sont d’ailleurs pas des rites mais des antirites, des antiritualisations – de nos sociétés. Simplement, à un moment donné, il devient impossible d’y trouver une émotion. »