L'initiation
Avant l'initiation, le mental des hommes se satisfait d'illusions - argent, honneurs, gloire, vanité - auxquelles il s'agrippe comme un naufragé à sa bouée. L'homme est en fait prisonnier de ses cautères sur une jambe de bois. Il a l'impression que s'il les lâche, il se noiera, et c'est peut-être bien, effectivement, ce qui lui arriverait; mais il se noierait alors dans l'Océan de la Réunion avec l'Unité, dans l'Océan indifférencié de la Perfection du Commencement. Parfois même, ces bandages illusoires deviennent franchement dangereux, pour lui-même ou pour les autres.
La consommation effrénée d'alcool, la dépendance envers les drogues, la jalousie morbide, la volonté de puissance, les instincts guerriers, et ce sens de l'honneur dont on se drape pour excuser la bestialité et l'agressivité. Mais rien à faire: ma femme, mon mari, ma maison, mon argent, mon peuple m'appartiennent. J'ai besoin d'eux pour vivre. Je préfère me tuer, et parfois même les supprimer, plutôt que de les lâcher. Voilà ce que se dit celui qui ne sait pas voir. Je les lâcherai avant – lorsque je rentrerai sur la voie de l’initiation. Je ne veux pas dire pour cela qu’il faille abandonner à leur sort conjoint et enfants, ou encore de vieux parents. On ne se sauve pas au prix de l’ignorance du sort des autres, ce serait une preuve d’égoïsme.
L’initiation est une suite de renoncements à tous les rochers auxquels on s’accroche comme des arapèdes. Parce qu’on veut se libérer soi même, et libérer les autres par là même, des contraintes de l’existence, afin de goûter une liberté sans borne, une liberté dont tu n’as pas idée. C’est douloureux, toujours. Dangereux, parfois. Mais la sérénité d’abord, l’illumination ensuite, sont à ce prix. Voilà pourquoi on dit de l’initiable qu’il doit se connaître soi-même pour mourir à lui même. Sur ce chemin, ton plus grand ennemi, c'est toi-même. Il y aura en toi une lutte constante entre tes aspirations, et ton mental qui tentera de t'ancrer encore plus dans les réalités matérielles ou affectives. Mais tu remarqueras souvent que ton entourage joue aussi vis à vis de toi le rôle que Satan a joué dans le désert vis à vis de Jésus. Dame C'est que te libérant toi-même, tu voudrais les rendre libres ! Or, et je le dis sans péjoratisme aucun, ce qui est l'essence de l'existence, c'est la mentalité d'esclave. Personne ne veut être libéré, et tout le monde aime ses chaînes.
Ce sont des garde-fous. Se noyer et devenir fou sont pour eux synonymes dans ma métaphore précédente. Pourquoi abandonner tous les avantages du confort, de la possession, de l'intelligence même, de l'efficacité, un bon feu de bois, un bon digestif, un bon chien, une bonne famille, une superbe maison, et sortir dans la tempête pour répondre à un appel, et inviter les autres à te suivre ? On en a crucifié pour moins que ça ! Avant, bien sûr de récupérer les paroles libératrices du martyre pour les pétrifier dans un dogme. C'est une des raisons pour lesquelles il faut se montrer discret sur sa qualité d'initié. Car tu risquerais de voir ton meilleur ami, ton épouse, tes enfants, tes parents se dresser sur ton chemin.
Souviens-toi de ce que je te dis, quelque cruauté apparente qu'il y ait dans mes paroles: s'ils sont aveugles, c'est qu'ils ne veulent pas voir. S'ils sont sourds, c'est qu'ils ne veulent pas entendre. Et qu'il s'en trouvent bien! Malheur à toi, si tu veux leur ouvrir les yeux malgré eux, ouvrir leurs yeux ou leurs oreilles. Il t'accuseront de les éblouir, de les assourdir. Ils n'aiment que le silence et la nuit de leur esprit occupé à compter leurs possessions, à se préoccuper de leur nombril, à se contempler dans la glace, à se demander:suis-je aimable ? Et à faire bien sûr tout le contraire de ce qu'il faudrait pour ça. La musculation veut dompter la bête en contraignant. Le yoga veut maîtriser le corps en le contrôlant en l'adaptant à chaque situation et à chaque cas particulier. La musculation recherche la performance, le yoga le bien-être du corps et de l'esprit. La musculation renforce les individualités le yoga s'efforce de les dissoudre.
Source : Les cahiers de l'adepte - 1966